Nous ne rajeunissons pas et la population mondiale non plus. Le nombre de personnes âgées a explosé ces dernières années et, bientôt, la notion de « sociétés âgées » sera une réalité. Ainsi, d’ici 2050, de nombreux pays où les plus de 65 ans représenteront plus de 21 % de la population devraient entrer dans la catégorie des « sociétés super-âgées », et d’ici 2030, à l’échelon mondial, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus aura augmenté de 56 %1).
L’adaptation à cette évolution soulève des enjeux économiques, sociaux et politiques, et risque d’augmenter la dépendance des seniors vis-à-vis des personnes en âge de travailler. Régulièrement, des scénarios apocalyptiques sont évoqués : pénuries de main-d’œuvre, effondrement financier des régimes de retraite et de santé, problèmes d’isolement et d’insécurité.
En vérité, le vieillissement va considérablement modifier la manière dont les sociétés et les économies fonctionnent, et cela concerne aussi la façon dont les adultes plus âgés s’épanouissent, l’âge auquel ils partent à la retraite et leur qualité de vie dès lors qu’ils ne travaillent plus. À cela, il convient d’ajouter les pressions qui pèsent sur les sociétés en termes de soins de santé, de sécurité sociale et d’accessibilité, qui réclament des solutions novatrices dans des domaines aussi variés que les infrastructures urbaines ou la vie en collectivité, permettant à chacun de tirer parti de ce que nos aînés ont à offrir.
Alors que nous entrons dans une époque où de plus en plus de personnes vivront plus longtemps, il convient de se demander si le « fardeau » que représente le troisième âge est supportable, voire réel, et comment nous pouvons gérer le changement et saisir les opportunités qu’offre notre évolution démographique. La réponse pourrait venir de la normalisation, un outil puissant pour soutenir l’adaptation des produits, des services et des environnements aux besoins des populations vieillissantes.
Déverrouiller le capital social
Le vieillissement mondial est souvent vu comme l’un des risques les plus importants pour la prospérité mondiale. Pourtant, selon Malcolm Fisk, Directeur de recherche à l’université De Montfort, à Leicester au Royaume-Uni, qui participe activement à plusieurs projets visant à combattre l’âgisme, le fait qu’un nombre croissant de personnes vivent au-delà d’un certain âge est une véritable aubaine. « Les personnes âgées forment un groupe d’individus compétents et expérimentés » explique-t-il. « Leur capacité d’adaptation est immense. Elles doivent en effet faire face à la perte de revenus (lors du départ à la retraite), au deuil, au handicap [et] aux préjugés. »
Certes, le vieillissement est un défi pour les infrastructures publiques dans le monde, mais la bonne nouvelle, c’est que si les décideurs et les dirigeants politiques anticipent correctement les changements, nous avons de fortes chances de tirer parti des avantages potentiels de cette tendance au vieillissement – en exploitant par exemple l’immense capital social des aînés – tout en évitant ses écueils.
Les récentes tendances démographiques indiquent que la plupart des pays devraient s’attendre à une forte hausse du nombre de personnes âgées dans les décennies à venir. Bien que le Japon soit réputé être le pays dont la population est la plus âgée au monde, ce sont les pays moins développés qui connaissent une évolution démographique spectaculaire.
Pour faire face à ce phénomène mondial, il convient d’adopter des mesures multisectorielles dans tous les pays pour veiller à ce que les aînés puissent participer activement à la vie économique, sociale, culturelle et politique de leur société.
Le fait de comprendre leurs propres tendances démographiques permet aux autorités gouvernementales d’anticiper les besoins futurs de leur population plus âgée et de prendre les devants en mettant en place des politiques et des programmes garantissant le bien-être et la pleine intégration socio-économique des aînés. Elles sont ainsi en bien meilleure position pour préserver la solvabilité budgétaire des régimes de retraite et de santé, et promouvoir la croissance économique. La politique dite des « Abenomics » en est un bon exemple. En effet, les mesures annoncées en 2015 par le gouvernement japonais visent à renforcer le système de sécurité sociale et à mettre en place un système de soins communautaires intégrés, pour permettre aux personnes âgées de vivre de façon indépendante durant le reste de leur vie – avec, au besoin, un soutien.
À une échelle plus locale, il existe divers programmes destinés à protéger les seniors et leur permettre de participer et d’être productifs. Par exemple, le Réseau mondial OMS des villes et des communautés amies des aînés reprend différentes initiatives comme celle du Département des transports de la ville de New York, où le programme Safe Streets for Seniors (Des rues plus sûres pour les seniors) a permis de revoir 7 600 intersections dangereuses et de faire chuter de 21 % le nombre de décès de piétons.
L’accessibilité : un aspect fondamental
Lorsque les seniors ont la possibilité de jouer un rôle actif au sein de la société, ils peuvent continuer de contribuer à notre développement socio-économique. Leur participation permet aussi d’éviter l’isolement et la solitude, et d’assurer une sécurité financière. La conception inclusive permet de créer des environnements tenant compte des besoins de différents utilisateurs et porte sur la participation (accès à l’information, bâtiments et transports publics accessibles), la santé (services de soins de santé accessibles et abordables, et possibilité d’être physiquement actif), la formation continue (modèles d’apprentissage tout au long de la vie) et la sécurité (logements et services abordables) – en résumé, tout ce qui favorise l’accessibilité adaptée aux personnes âgées.
L’accessibilité est l’un des fondements des collectivités adaptées aux aînés, dans tous les domaines, « des bâtiments et des logements à la configurabilité et à la facilité d’utilisation des produits et des services » explique Malcolm Fisk. Ce concept soulèvera de nombreux défis à l’avenir, mais les normes peuvent jouer un rôle essentiel pour faciliter et encourager l’innovation dans ce domaine. « Le principe de conception universelle doit être appliqué... et mieux intégré dans les normes. »
La municipalité suédoise de Danderyd a placé l’accessibilité au cœur d’un programme visant à s’assurer que ses citoyens sont en mesure de décider, en toute connaissance de cause, de la façon dont ils entendent mener leur vie à un âge plus avancé. La ville souhaite que ses habitants continuent de vivre de façon indépendante et de bénéficier d’une bonne qualité de vie aussi longtemps que possible, déclare Jonas Sundling, Responsable Qualité des services sociaux du Conseil municipal de Danderyd et membre actif du comité technique CEN/TC 449 du Comité européen de normalisation (CEN) sur la qualité des soins destinés aux personnes âgées. « Nous disposons d’un plan détaillé sur l’accessibilité, revu tous les deux ans et qui porte non seulement sur l’accessibilité physique des bâtiments municipaux et des espaces publics, mais aussi sur l’accès à l’information. »
« Nous pensons également que les soignants et les intervenants sociaux hautement qualifiés souhaitent travailler avec des employeurs de grande qualité » ajoute-t-il. « C’est pour cette raison que nous participons activement aux travaux du [comité technique suédois] SIS/TK 572. Nous avons récemment élaboré une norme nationale sur la qualité de la prise en charge ordinaire ou en institution des personnes âgées, et nous travaillons à son application au sein de notre organisation. »
L’accessibilité est également un aspect essentiel du projet Progressive ), une initiative de recherche financée par la Commission européenne visant à la mise en place d’un cadre dynamique et durable au sein duquel il sera possible d’optimiser la contribution des normes et de la normalisation en matière de technologies de l’information et de la communication pour les services qui soutiennent le vieillissement actif et en bonne santé.
« Nous allons établir des lignes directrices intégrant clairement la notion de « bonnes pratiques » » explique Malcolm Fisk, Responsable du projet. « Nos travaux impliquent de créer des cadres pour que la voix des personnes âgées soit entendue dans les processus de normalisation. Les intérêts commerciaux des entreprises participant à de tels processus seront donc plus nuancés, du moins dans les domaines qui touchent les aînés. »
Prise en compte des seniors dans les normes
Au niveau international, des travaux visent à s’appuyer sur la normalisation pour répondre aux enjeux du vieillissement des populations avec des solutions innovantes. Élaboré pour servir de point de départ en vue d’apporter une réponse à ces questions, l’Accord international d’atelier IWA 18, Cadre de travail pour les services de santé et de soins communautaires à vie intégrés dans les sociétés âgées, a été conçu pour encourager les prestataires de services de soins de santé à « évoluer vers des services centrés sur la personne », dignes, accessibles, sûrs et faciles à utiliser, en tant que base pour l’établissement de sociétés au sein desquelles les citoyens peuvent rester actifs et en bonne santé le plus longtemps possible.
Ce cadre, conçu par des experts des pouvoirs publics, de la santé publique, de l’industrie et de la recherche, définit les facteurs fondamentaux qu’il convient de traiter au moment d’envisager des services de santé et de soins communautaires intégrés pour les aînés. Il permet de veiller tout spécifiquement à ce que les besoins individuels fondamentaux, comme les soins de santé, les tâches quotidiennes, le bien-être, les contacts humains et la sécurité, continuent d’être satisfaits à mesure qu’une personne vieillit.
Reconnaissant la nécessité d’aller plus loin dans ce domaine, l’ISO a établi un Groupe consultatif stratégique (SAG) sur les sociétés vieillissantes afin d’orienter ses travaux futurs en vue de soutenir la transition démographique. Dirigé par la BSI, le membre de l’ISO pour le Royaume-Uni, et réunissant des experts de tous les domaines d’activité gouvernementale, des infrastructures communautaires, de la recherche et du secteur des soins aux personnes âgées, ce groupe a pour objectif de déterminer comment les normes peuvent aider à répondre aux enjeux du vieillissement des populations. L’ISO dispose déjà de compétences dans un large éventail de sujets ayant trait au vieillissement des sociétés, et l’Organisation est bien placée pour mener un travail stratégique dans ce domaine.
Comme l’explique Ben Carson, Secrétaire du SAG et représentant de la BSI, le groupe a déjà identifié sept domaines problématiques clés:
- Les services de soins communautaires / à domicile
- Les technologies habilitantes / d’assistance aux personnes âgées
- La prestation de soins
- La gestion intégrée de l’information
- La planification future
- Le soutien aux collectivités
- Les normes de construction
La prochaine étape sera de mener une analyse des écarts dans les normes et les lignes directrices nationales, régionales et internationales existantes afin d’identifier les connaissances actuelles et de déterminer les priorités en matière de normalisation. Sur ce point, Ben Carson se montre positif : « Le groupe reconnaît qu’il existe déjà une vaste gamme de normes qui aident les collectivités à s’adapter ». Par exemple, la norme ISO 37120, relative au développement durable des collectivités, qui définit une série d’indicateurs afin d’orienter et de mesurer les performances des services urbains (transports, santé, sécurité, loisirs), et aide à déterminer où il est possible d’apporter des améliorations.
D’autres documents y contribuent également de manière indirecte, à l’image du Guide ISO/IEC 71, Guide pour l’intégration de l’accessibilité dans les normes. Ce dernier est particulièrement utile au moment d’établir les exigences et les recommandations de normes ciblant des systèmes utilisés par la population, avec lesquels elle interagit ou auxquels elle a accès.
Réinventer le troisième âge
Nous vivons une époque paradoxale où les aînés, autrefois respectés pour leur sagesse et considérés comme des prophètes et des meneurs, sont aujourd’hui source d’inquiétude quant à l’avenir. Nous devons changer nos mentalités pour envisager le vieillissement positivement plutôt que négativement. Nous devons laisser de côté nos vieux préjugés et changer nos institutions et nos politiques publiques pour refléter les attentes, les capacités et les besoins nouveaux des personnes âgées.
Une telle évolution nécessite des normes permettant de combattre l’âgisme et de saisir les opportunités offertes par le vieillissement de la population tout en encourageant la participation et l’implication des aînés. Il faudra encore du temps pour que davantage de normes intégrant cette approche voient le jour, mais le rapport d’analyse des écarts du SAG (attendu dans le courant de l’année) marquera une importante avancée. Il identifiera en partie les faiblesses et servira de catalyseur pour des solutions novatrices tenant compte des générations et des données démographiques.
Pour cela, il est essentiel de mobiliser les compétences au niveau mondial. « Chaque pays a ses propres problèmes et priorités s’agissant de la gestion des populations plus âgées » concède Ben Carson, « c’est pour cela que réunir des experts de différents domaines et régions géographiques nous permet d’apprendre les uns des autres, et d’adopter une approche plus globale. » Il ne s’agit pas uniquement de prendre soin de nos aînés, mais aussi de mettre à profit leurs capacités pour parvenir à ce à quoi nous aspirons tous pour l’avenir.