Le décollage de lʼagricultre de précision

Lu en quelques minutes
Par Barnaby Lewis
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Certaines entreprises ont fait lʼactualité cette année en annonçant quʼelles allaient désormais utiliser des drones pour livrer des colis. Alors que la technologie continue dʼévoluer, le nombre dʼutilisateurs et dʼutilisations des aéronefs sans pilote ne cesse dʼaugmenter. Le besoin dʼune Norme internationale dans ce domaine est incontestable, mais quel est le lien avec lʼagriculture ?

 

Plus de sept milliards de personnes sont tributaires de la capacité unique de lʼêtre humain à labourer la terre de notre planète et cultiver diverses plantes. Bien que les cultures soient solidement enracinées dans le sol, le mécanisme mystérieux qui permet de les faire pousser peut uniquement être compris en levant la tête et en regardant le ciel.

Lʼeau et le dioxyde de carbone sont transformés en sucre (et en eau) par les plantes grâce à lʼénergie du soleil. Mais demandez aux agriculteurs qui gagnent leur vie grâce à ce miracle : ils vous diront sans doute que le sol est la clé de tout. Alors que la lumière du soleil et lʼair nécessaires à la photosynthèse sont gratuits, le travail, le carburant, les produits phytosanitaires et les engrais représentent un coût substantiel. Lʼeau a elle aussi souvent un coût, à la fois financier et environnemental. Pour que les agriculteurs puissent poursuivre leur activité et répondre à la croissance démographique (environ 50 bébés sont nés depuis que vous avez commencé à lire cet article), nous devons mieux utiliser ces ressources. Cʼest là que lʼagriculture de précision entre en jeu.

Lʼidée a été lancée dans les années 1980, mais la technologie actuelle lui permet dʼêtre mise en œuvre dʼune manière que la plupart dʼentre nous nʼauraient pas pu imaginer à lʼépoque. Pour obtenir une explication, nous pouvons de nouveau scruter le ciel. Ou demander à Cortney Robinson, Secrétaire du sous-comité SC 16 du comité technique ISO/TC 20, responsable de la normalisation dans le domaine des aéronefs sans pilote, ou drones comme on les appelle plus couramment.

Une nécessité pressante

Cortney Robinson, Directeur, Infrastructure de lʼaviation civile, auprès de lʼAerospace Industries Association (AIA), États-Unis, coordonne un groupe dʼexperts chargés dʼélaborer une Norme internationale sur les drones – ISO 21384. Le domaine dʼapplication de la norme est vaste et ambitieux, avec trois parties portant respectivement sur les spécifications générales, les systèmes de produits et les procédures opérationnelles. Il convient de noter que la Partie 1 spécifie uniquement les exigences générales relatives aux aéronefs sans pilote destinés à une utilisation civile et commerciale ; elle ne couvre pas leur utilisation à des fins militaires ou par les États, bien que les gouvernements soient invités à les appliquer.

Les spécifications générales de la Partie 2 établissent les exigences relatives à la conception, à la fabrication et à lʼaéronavigabilité continue de tout aéronef sans pilote qui, comme nous le verrons plus tard, est un terme qui couvre plus que le drone lui-même. ISO 21384-3 spécifiera les exigences en matière de procédures opérationnelles. Le calendrier est exigeant, avec une publication actuellement prévue pour 2018.

Les acteurs de lʼindustrie attendent une Norme internationale avec impatience. « Le coût des aéronefs sans pilote a considérablement diminué, ce qui a contribué à lʼexplosion de leur popularité, avec des utilisateurs de loisirs et des exploitants professionnels » explique Cortney Robinson. Le registre que tient la Federal Aviation Administration (FAA) aux États-Unis sur tous les engins volants le montre clairement. « Bien que lʼenregistrement se fasse sur la base du volontariat pour les drones de petite taille, la plupart des passionnés choisissent dʼenregistrer leur drone dans le cadre du programme « know before you fly » (ce que vous devez savoir avant de voler) et les chiffres montrent une croissance impressionnante. Le nombre total dʼaéronefs (avec et sans pilote) enregistré aux États-Unis est passé dʼenviron 260 000 en 2015 à plus de 750 000 pour les seuls aéronefs sans pilote aujourdʼhui. »

Des craintes qui planent juste au-dessus de nous

Les inquiétudes de la population au sujet des drones grandissent presque à la même vitesse. Quʼil sʼagisse de la protection de la vie privée, de véhicules commandés par des utilisateurs inexpérimentés ou modifiés de manière inappropriée (un certain nombre dʼexemples effrayants sont présentés sur YouTube), la réponse actuelle fournie par les États-Unis combine réglementations de la FAA, lignes directrices définies dans le secteur et bon sens. LʼAIA, « voix de lʼaérospatiale et de la défense américaine », mène avec la FAA une initiative visant à intégrer les aéronefs sans pilote dans lʼespace aérien national des États-Unis.

Lʼapproche diffère considérablement dʼun pays à lʼautre mais, dans un grand nombre dʼentre eux, comme lʼexplique Cortney Robinson, « une approche visant à limiter les risques est adoptée en classant les aéronefs en fonction de leur taille [masse totale, charge utile comprise] et de lʼaltitude à laquelle ils volent ». Cette combinaison aboutit à une classification des risques selon laquelle, pour les catégories supérieures, les exploitants doivent posséder le même niveau de compétence que sʼils étaient eux-mêmes installés dans le cockpit de leur aéronef.

Sʼagissant de lʼagriculture, les aéronefs sans pilote peuvent voler à une altitude assez basse (souvent moins de 120 m, qui est un seuil limite dans certaines juridictions) et lʼexploitant ne doit détenir aucun permis spécifique, quel que soit le modèle, à lʼexception des plus grands. Sur de nombreux drones, en particulier lorsquʼil sʼagit dʼétablir des cartographies, le comportement en vol est commandé par un logiciel.

Photo : Pix4D
Man throwing a drone in a field

Plus quʼune somme de composants

En fait, lʼexploitation et la commande à distance par logiciel sont lʼune des caractéristiques qui définissent les drones. Pour comprendre la différence entre un aéronef sans pilote et un modèle réduit dʼaéromodéliste, il faut penser au-delà de lʼaéronef à proprement parler. La partie aérienne du système est soit un aéronef à voilure fixe qui ressemble à un petit aéroplane, soit un aéronef propulsé par des rotors, souvent au nombre de quatre, généralement appelé quadricoptère. Les autres éléments comprennent la partie terrestre, un « poste de conduite à distance » qui peut être un bâtiment réservé à cet effet, un ordinateur portable et même un smartphone. Celle-ci planifie la destination du drone, ses réactions pour maintenir sa trajectoire et les informations quʼil doit recueillir. Le drone et le poste de conduite à distance fonctionnent ensemble grâce aux liaisons C2 (command and control), la troisième et dernière partie du système, qui maintient la communication sol-air. Ces différents aspects, qui vont au-delà de lʼappareil lui-même, entrent également dans le champ des travaux de lʼISO/TC 20/SC 16.

Les plans de vol pour lʼagriculture utilisent généralement plusieurs passages se chevauchant le long des rangs de cultures. Imaginez un champ de blé au Canada, par exemple. Dans les États des Prairies qui se prêtent parfaitement à la culture de cette céréale, une ferme peut sʼétendre sur une superficie de 1 000 ha (soit un champ de 2 km de large sur 5 km de long). À pied, il faudrait environ quatre heures pour simplement longer son périmètre, tandis quʼavec les bons réglages, toute la zone peut être précisément cartographiée par un drone dans le même temps.

Les choses sʼéclaircissent. Les drones peuvent effectuer des mesures précises bien plus rapidement quʼun agriculteur peut parcourir son champ. À cette échelle, la quantité dʼintrants et donc les économies potentielles sont considérables (à lui seul, ce champ hypothétique pourrait absorber 150 tonnes dʼengrais azotés chaque année). Les conditions de culture dans un champ de cette superficie sont assez variables : certaines plantes peuvent bénéficier dʼun sol profond et humide, tandis que le terrain sera pierreux et sec à dʼautres endroits de la parcelle ; des insectes ou des champignons indésirables peuvent avoir colonisé une zone mais pas une autre ; certaines plantes vont grandir rapidement alors que certaines semences nʼauront même pas germé, etc.

Des pixels aux tonnes récoltées

Photo : Pix4D

 

Pix4D's device

Si lʼagriculteur pouvait établir une carte précise avec toutes ces informations, il pourrait être en mesure de pulvériser de lʼengrais là où le sol est le plus pauvre, irriguer seulement les zones les plus sèches et traiter uniquement les plantes qui doivent être protégées contre les nuisibles. Au-delà des économies potentielles considérables, des plantes en meilleure santé sont également synonymes de rendements accrus. Un modèle de situation gagnant-gagnant : un mode dʼagriculture basé sur la technologie, économique et très rentable, qui contribue à protéger notre environnement tout en nourrissant la planète.

Mais comment est-il possible dʼélaborer une telle carte et, une fois établie, comment un agriculteur la transpose-t-elle en actions ? Nous avons posé ces questions à un homme qui détient ce savoir : Jorge Fernandez, expert en traitement de lʼimage et responsable des solutions pour lʼagriculture dans une société de logiciels, Pix4D. Lʼentreprise, basée en Suisse, créée à Lausanne en 2011, développe des logiciels de pointe qui convertissent les images capturées par un drone en ce que Jorge Fernandez appelle « des cartes de réflectance en 2D de qualité topographique, radiométriquement et géométriquement précises (la base de la carte NDVI bien connue), des orthomosaïques, ainsi que des nuages de points tridimensionnels et des modèles de surface ».

Il existe de nombreuses applications de ses travaux, de lʼimmobilier et de lʼarpentage aux modèles 3D spectaculaires des séquoias géants qui ouvrent aux chercheurs de nouvelles perspectives sur le CO2 absorbé par les plus vieux végétaux vivants du monde. Mais pour les plantes qui alimentent lʼhumanité, celles qui sont généralement semées, récoltées et consommées chaque année, comment le logiciel fonctionne-t-il ? « On distingue essentiellement trois phases : dʼabord, les données sont recueillies en vol ; ensuite, les millions de points de données sont interprétés et compilés pour créer une carte qui intègre avec précision la réflectance des végétaux, quelles que soient les conditions météorologiques ; enfin, lʼagriculteur, ou souvent un conseiller en agronomie, définit une solution sur la base des cartes dʼindice générées » explique Jorge Fernandez. Cette solution spécifie généralement le niveau dʼintrants pour chaque partie du champ.

Au-delà de la perception de lʼœil humain

Il est important de souligner que le drone transporte généralement un équipement un peu plus perfectionné quʼun appareil photo standard. « Pour lʼagriculture, lʼune des options les plus couramment utilisées est un capteur multispectral. Similaire à un appareil photo, celui-ci est toutefois doté de cinq objectifs distincts, chaque objectif captant une couleur du spectre lumineux. » Certaines de ces longueurs dʼonde ne peuvent pas être perçues par lʼœil humain, mais sont essentielles à la photosynthèse. Comment cela fonctionne-t-il ? Jorge Fernandez nous explique encore : « Les longueurs dʼonde en dehors du domaine du visible peuvent nous donner des indications, par exemple révéler si une plante est stressée ou si elle est affectée par un insecte nuisible, avant même que les symptômes ne soient visibles au cours dʼune inspection. Lʼagriculteur peut alors aller lʼexaminer de plus près pour identifier la cause du problème. »

Lʼun des types de cartes les plus courants est appelé NDVI (indice de végétation par différence normalisée), qui indique où se trouvent les zones nues du champ, qui ne peuvent être vues sur une photographie classique ou depuis le sol. « Cʼest un indicateur très fiable du stress hydrique », ajoute Jorge Fernandez, soulignant quʼengager un professionnel, voire acheter directement un système de drone, est un investissement judicieux, car « les schémas de stress récurrents peuvent être identifiés, ce qui signifie que des plans sur le long terme peuvent être élaborés pour les zones problématiques et que les agriculteurs peuvent exploiter au mieux leur terre, année après année. »

Faire plus avec moins

Farmer standing in a wheat field and looking at tabletLa population mondiale continue de croître et, avec elle, la pression sur les ressources et les terres agricoles. Tandis que les futures technologies peuvent nous ouvrir de nouvelles voies pour accroître encore notre productivité, il semble improbable que nous assistions à un accroissement semblable à celui du début du XXe siècle, avec la multiplication par quatre des rendements grâce à la mise au point du procédé Haber-Bosch et des engrais de synthèse. Néanmoins, étant donné que ce procédé consomme une quantité dʼénergie équivalant à un litre de fioul pour transformer lʼazote de lʼair en un kilogramme dʼengrais, il semble que la réponse soit peut-être avant tout de consommer moins de produits de ce type.

Tirer profit des toutes dernières technologies en matière de protection et de nutrition des cultures, gérer lʼeau de façon plus durable et baser les plans agronomiques sur des données concrètes semble être une bonne formule pour continuer à nourrir la planète. La dernière génération dʼaéronefs sans pilote offre cette possibilité à un nombre croissant dʼagriculteurs, y compris dans les pays en développement. À mesure que leur utilisation se développe et met les populations rurales en contact avec les drones, il est urgent dʼélaborer une Norme internationale pour assurer la sécurité des exploitants et du public et pour exploiter de façon optimale cette technologie. Heureusement, lʼISO/TC 20/SC 16 y travaille.

Barnaby Lewis
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Elizabeth Gasiorowski-Denis
Rédactrice en chef d'ISOfocus