Il ne fait désormais guère de doute que le changement climatique est en marche. Principal défi environnemental du XXIe siècle, il nous concerne tous.
Pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), « les preuves scientifiques du réchauffement du système climatique sont sans équivoque ». Le GIEC, qui compte 1 300 experts scientifiques indépendants du monde entier, évalue à plus de 90 % la probabilité pour que les gaz à effet de serre (GES) tels que le dioxyde de carbone, le méthane et le protoxyde d’azote (ou oxyde nitreux), produits par l’activité humaine (anthropique), soient à l’origine de la majeure partie de l’augmentation de la température à l’échelle de la planète au cours des 50 dernières années.
Notre planète se réchauffe, en attestent la diminution des glaces de mer, la hausse accélérée du niveau des mers, le réchauffement des océans, l’intensification des vagues de chaleur, et l’augmentation des phénomènes extrêmes tels que les feux incontrôlés, les périodes de sécheresse, les tempêtes tropicales et les inondations. Quelle en est l’origine ? Selon le quatrième Rapport d’évaluation du GIEC, la tendance actuelle du réchauffement mondial est en grande partie imputable à l’homme – provenant pour l’essentiel de l’exploitation de combustibles fossiles dans les centrales électriques et dans nos voitures – et elle s’accentue à un rythme sans précédent depuis 1300 ans.
Un accord universel
À l’occasion de la Conférence annuelle des Parties (COP21) qui s’est tenue à Paris en décembre dernier, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a décidé de viser « pour la première fois en plus de 20 ans de négociations aux Nations Unies, un accord universel juridiquement contraignant sur le climat [de toutes les nations du monde] », ayant pour but de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C d’ici la fin du siècle – un accord considéré comme crucial par la communauté scientifique qui estime qu’un réchauffement supérieur à 2 °C entraînerait des phénomènes climatiques catastrophiques et irréversibles.
Puisque, selon toute vraisemblance, nous sommes en grande partie responsables de l’augmentation des émissions de GES qui dégradent notre planète et compromettent notre avenir, nous devons trouver d’urgence des moyens de réduire les émissions de GES et en atténuer les effets. L’atténuation de ces émissions fait l’objet d’un effort mondial hors du commun qui transcende les nations et les gouvernements. Il s’agit là de la plus grande tentative de collaboration internationale qui doit pouvoir s’appuyer sur des normes et des pratiques communes pour optimiser son impact.
Les besoins en matière de normes n’ont jamais été aussi importants
L’ISO propose un ensemble de Normes internationales (voir infographie ci-dessus) qui fournissent des outils essentiels pour aider les organismes à atténuer leur impact sur l’environnement, notamment la norme ISO 14064 en plusieurs parties, relative à la quantification, la déclaration et la vérification des émissions de GES. Élaborée par le sous-comité SC 7 du comité technique ISO/TC 207/SC 7 et publiée pour la première fois en 2006, cette norme sert aujourd’hui largement de référence pour le management des émissions de GES.
À ce jour, près de 40 0001) entités dans le monde entier quantifient et déclarent leurs émissions ou suppressions de GES (c’est-à-dire le piégeage du carbone) en vue de se conformer aux réglementations nationales, de participer aux marchés d’échange de droits d’émission ou de démontrer leur engagement en matière de responsabilité sociale des entreprises. Elles parviennent à réduire leurs émissions de GES de différentes façons, en optant notamment pour des technologies et des politiques favorables à l’efficacité énergétique, des sources d’énergie à faibles émissions de carbone, des énergies renouvelables, et des bâtiments écologiques.
Les normes doivent évoluer avec leur temps ; c’est pourquoi l’ISO soumet ses normes clés relatives aux GES à un processus de révision de grande ampleur qui influera sur l’avenir du management des émissions de carbone à travers le monde. « Alors que l’approche internationale en matière de solutions climatiques est davantage pilotée par des actions « ascendantes » telles que les CPDN – contributions prévues déterminées au niveau national2) –, la nécessité d’un système de normes internationales robuste, économique et crédible pour soutenir la quantification, la déclaration et la vérification des émissions de GES n’a jamais été aussi forte » explique Tom Baumann, Président de l’ISO/TC 207/SC 7, et Directeur, Management des connaissances, au Greenhouse Gas Management Institute (GHGMI).
L’ISO/TC 207/SC 7 compte 57 pays participants, 18 pays observateurs et 18 organisations en liaison, y compris la CCNUCC, le CDP (anciennement Carbon Disclosure Project), le WRI (World Resources Institute) conjointement avec le WBCSD (World Business Council for Sustainable Development) et la GSF (The Gold Standard Foundation).
Tom Baumann a dirigé l’élaboration d’un plan stratégique détaillé pour l’ISO/TC 207/SC 7 sous la forme d’une feuille de route pour l’élaboration coordonnée de normes en matière d’adaptation et d’atténuation. Les parties prenantes ont manifesté un vif intérêt pour participer aux efforts visant à élaborer un meilleur système de normes à l’échelon mondial pour agir sur le climat. « Conscients de la demande de normes climatiques de portée mondiale rapidement disponibles sur le marché, les membres de l’ISO ont recours à des stratégies de collaboration et des outils innovants pour impliquer les parties prenantes aux niveaux local et mondial » explique-t-il.
« Le temps est venu de collaborer pour les normes de prochaine génération ». Tel était le thème d’une manifestation officielle de la CCNUCC organisée parallèlement à la COP21, animée par Tom Baumann et le CCCC, au nom du GHGMI et de l’ISO, dans l’optique de tirer les enseignements des activités de normalisation passées pour ajuster les activités futures. Cette rencontre a permis de conclure que de nouveaux domaines importants en matière de neutralité climatique et de résilience devront être abordés dans le cadre de l’élaboration de nouvelles normes climatiques, et il a été décidé de renforcer l’alignement et la collaboration entre les organisations élaboratrices de normes afin de combler les lacunes en matière de normes relatives au climat.
Un programme pour l’avenir
Les travaux du CCCC, qui a été mis en place par l’ISO en 2013 pour établir un programme pour la future feuille de route des normes ISO relatives à l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation, montrent la voie à suivre – il ne s’agit pas seulement d’aider le monde à réduire les effets des émissions de GES, mais aussi d’aider l’humanité à s’adapter aux effets du réchauffement mondial.
Selon le Président du CCCC, Tod Delaney, le comité reconnaît que l’on commence à peine à saisir l’ampleur de l’impact mondial du changement climatique et que, compte tenu de la grande incertitude qui règne autour de l’étendue de cet impact, l’ISO se doit de mettre en place une structure capable de répondre aux défis actuels et futurs du changement climatique.
« Nous avons recommandé des changements concernant les processus existants et l’élaboration des normes. Nous avons ainsi préconisé la mise en place d’un comité permanent de type CCCC afin de garantir que les défis en constante mutation du changement climatique sont correctement pris en compte dans l’élaboration des normes, mais également que ce comité est reconnu pour l’ensemble des travaux de normalisation de l’ISO afférant au changement climatique, afin de permettre une harmonisation de toutes les normes de ce type. Ces deux questions sont susceptibles de revêtir une importance croissante à mesure que le climat se réchauffera » explique-t-il.
Le CCCC a présenté son rapport final de conclusions et recommandations au Conseil de l’ISO le 31 décembre 2015. En résumé, Michael Leering, Secrétaire de l’ISO/TMBG/CCCC et Responsable de programme, Environnement et changement climatique, Groupe CSA, a déclaré : « Notre objectif est de faire en sorte que les normes ISO soient pertinentes et directement applicables aux enjeux relatifs au changement climatique mondial et aux CPDN afin de soutenir la réduction des émissions anthropiques, et l’application de meilleures pratiques. Ces deux dernières années, nous nous sommes attachés à accomplir le mandat qui nous a été confié par le bureau de gestion technique de l’ISO (ISO/TMB) afin de faire un état des lieux des normes ISO existantes sur le sujet du changement climatique et d’évaluer les besoins des parties prenantes. »
La collaboration et la coordination à l’échelle mondiale
Les nouvelles données ont permis de clarifier les besoins futurs en termes de normes ISO. Comme l’explique Michael Leering, « nos travaux ont abouti sur différentes recommandations clés concernant la façon dont l’ISO pourrait aborder la question du changement climatique en comblant les lacunes, ainsi qu’en identifiant et en mettant en œuvre une collaboration avec les principales organisations internationales spécialisées dans ce domaine afin d’accroître l’acceptation des normes ISO relatives aux GES à l’échelle mondiale. »
Le soutien de la CCNUCC, ainsi que sa collaboration avec le CCCC dans le but de définir la portée de la COP21 qui s’est tenue dernièrement à Paris, est un premier exemple de cette collaboration. Le comité travaillera également en étroite coopération avec le Comité européen de normalisation (CEN), la Banque mondiale, le CDP, le WRI et le WBCSD, ainsi qu’avec la GSF.
Une haute priorité
L’ISO/TC 207/SC 7 est engagé dans un processus de planification stratégique visant à concentrer les ressources sur des domaines hautement prioritaires pour la normalisation en matière de GES. Il ressort de l’examen du CCCC qu’un nombre plus important de normes sont envisagées dans ce domaine afin de répondre aux besoins du marché et des parties prenantes, notamment une nouvelle initiative portant sur les normes relatives à l’adaptation au changement climatique.
Les principales normes de l’ISO sur les GES sont également révisées pour procurer une plus grande valeur ajoutée et une meilleure adéquation aux besoins du futur, en mettant davantage l’accent sur l’amélioration, à différents niveaux, des activités de quantification, de déclaration et de vérification des émissions de GES. À l’heure où il devient plus important de planifier un développement sobre en carbone, de nouvelles méthodologies relatives aux GES seront nécessaires pour évaluer les politiques relatives au contrôle des émissions de carbone, et les programmes et technologies associés, en particulier pour les pays en développement qui cherchent un soutien pour l’élaboration de stratégies de développement à faible taux d’émission et à se doter des capacités pour mettre en œuvre les normes ISO relatives aux GES.
Autre élément clé, les normes sectorielles offrant des lignes directrices pour la mise en œuvre de mesures d’adaptation, qui permettront de soutenir les ressources importantes nécessaires pour améliorer la résilience des systèmes sociaux et économiques aux impacts du changement climatique. Les secteurs hautement prioritaires sont l’alimentation et l’agriculture, ainsi que les infrastructures dédiées à l’eau, à l’énergie et au transport.
Un climat viable
Ces initiatives font partie du plan stratégique de l’ISO/TC 207/SC 7 pour l’élaboration de normes visant à gérer et atténuer les émissions de GES, ainsi que pour l’adaptation aux effets du changement climatique et le soutien au développement durable. Ce plan prévoit que « l’objectif premier de l’ISO/TC 207/SC 7 est d’élaborer des normes afin d’harmoniser les pratiques d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets, et d’en réduire le coût. » À terme, les normes de l’ISO relatives aux GES devront être l’une des solutions de référence pour atteindre l’objectif ultime d’un climat plus sûr.
Pour avoir un quelconque impact bénéfique, il est cependant essentiel que les normes ISO sur les GES soient mises en œuvre avec succès dans le monde entier. Ce point a été particulièrement mis en avant lors de la réunion de l’ISO/TC 207/SC 7 en septembre dernier à Delhi : « L’atténuation et l’adaptation sont étroitement liées. Pour faire simple, si l’on ne cherche pas énergiquement à atténuer le changement climatique en réduisant les GES, il faudra nécessairement mieux s’adapter aux effets du changement climatique. » À cet égard, une proposition d’étude nouvelle (NWIP) du sous-comité SC 7, visant à établir une « norme cadre de niveau supérieur relative à l’adaptation aux changements climatiques, est désormais soumise au vote ».
Lignes directrices relatives aux mesures
L’ISO/TC 207/SC 7 élabore également une nouvelle norme importante qui offrira des lignes directrices : ISO 14080. D’après Chikako Makino, Responsable de programme, Japan Accreditation Board, Co-animatrice pour l’ISO 14080 et membre du CCCC, cette norme fournira aux organismes impliqués dans l’action pour le climat un cadre pour des méthodologies cohérentes, comparables et améliorées afin de guider des activités d’atténuation et d’adaptation efficaces, tout en améliorant l’accès au financement de l’action climatique et la disponibilité d’autres ressources.
Près de 40 000* entités dans le monde entier quantifient et déclarent leurs émissions ou suppressions de GES.
* Source : Plan stratégique de l’ISO/TC 207/SC 7.
Massamba Thioye, du Secrétariat de la CCNUCC, qui a été étroitement impliqué dans l’élaboration d’ISO 14080, explique que l’élaboration de méthodologies, sans harmonisation préalable par divers organismes de normalisation, peut déboucher sur un cadre fragmenté, complexe et non coordonné de normes, de programmes et de lignes directrices. Il estime qu’un alignement d’ISO 14080 sur les normes de la CCNUCC pourrait jouer un rôle déterminant en termes de processus de normalisation, en apportant une cohérence au niveau des méthodologies futures, quelle que soit l’organisation élaboratrice.
Hari Gadde, spécialiste du financement de la lutte contre les émissions de carbone auprès de la Banque mondiale, qui participe à l’ISO/TC 207/SC 7 en qualité d’observateur, note des compatibilités potentielles entre le Plan stratégique de l’ISO en matière de normes relatives au changement climatique, ISO 14080, et certaines activités de la Banque mondiale en relation avec le climat, notamment celles visant les efforts ascendants en matière de climat telles que l’initiative Networked Carbon Markets.
« À mon sens, les besoins en matière d’élaboration de normes de ce type sont immenses si l’on entend faciliter la « comparabilité » des approches méthodologiques utilisées par différentes parties prenantes pour quantifier les réductions d’émissions. Si l’élaboration d’ISO 14080 est menée correctement, en tenant compte de l’évolution de l’architecture du changement climatique à l’horizon 2020, cette norme aura un potentiel énorme et jettera les bases nécessaires à l’établissement de cadres similaires par différentes parties prenantes. »
Un langage commun
Noer Adi Wardojo, Vice-président du sous-comité SC 1 de l’ISO/TC 207, également à la tête du groupe ad hoc du sous-comité SC 7 chargé des propositions d’études nouvelles pour les méthodologies relatives aux GES, a repris le thème de la Journée mondiale de la normalisation 2015 – « Les normes – langage commun universel » – pour mettre en avant l’intérêt de la nouvelle norme ISO 14080 établissant des lignes directrices relatives aux GES, et pour envisager un monde sans normes ISO relatives aux GES.
« Pour souligner l’importance d’ISO 14080, nous devons également tenir compte de l’inconvénient que représenterait l’absence de cette norme, qui se solderait par un risque élevé d’incohérences entre les mesures et les méthodologies relatives au climat. » Il considère que l’obtention d’un consensus entre tous les acteurs du secteur serait l’une des plus importantes réussites dans l’élaboration d’ISO 14080. « Il est tout à fait remarquable de voir collaborer l’ISO, la CCNUCC, la Banque mondiale, le WRI, le WBCSD, la GSF, les pays développés, les pays en développement, et de nombreux acteurs du domaine des gaz à effet de serre, dans le cadre de l’élaboration d’ISO 14080, pour s’accorder sur un langage commun. »
1) Plan stratégique de l’ISO/TC 207/SC 7.
2) Dans les préparatifs pour la Conférence des Nations Unis sur les changements climatiques 2015, il a été demandé aux États d’annoncer publiquement les mesures qu’ils entendent adopter (CPDN) dans le cadre d’un nouvel accord mondial, à travers lequel ils proposent leurs accords dans le contexte de leurs spécificités, capacités et priorités nationales, en vue d’une réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre suffisante pour empêcher une augmentation de la température mondiale de plus de 2 °C.